Mireille MAQUOI | Biographie
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Chers lecteurs, mes livres , comme tant d’autres, sont faits pour créer du lien, je suis toujours heureuse de vous rencontrer ou de vous lire. Quand nous discutons de mes personnages et de leurs choix de vie, quand nous échangeons nos points de vue sur l’amour, l’amitié, la violence, le deuil et les grandes questions que se posent les hommes, nous partageons la même éternelle envie que notre monde connaisse des lendemains meilleurs.

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De l’école à l’écriture…

 

Ces deux centres d’intérêt, je devrais plutôt dire ces deux passions, ont habité ma vie et leurs relations furent tantôt harmonieuses, tantôt conflictuelles. De l’école à l’écriture certes mais aussi de l’écriture à l’école, en ce qui me concerne, ce ne fut qu’une série d’aller-retour. On sait que cette diablesse d’écriture, quand elle a jeté sur vous son dévolu, s’obstine et ne vous lâche plus, jusqu’à ce qu’elle vous occupe tout entier. Mais dans mon cas, elle a eu la vie dure, il lui a toujours fallu composer avec mon amour de l’école car je fus une bûcheuse puis une enseignante passionnée. Me présenter à vous, chers lecteurs, m’a donné l’occasion de chercher un sens à tout cela et, comme on s’en doute, je l’ai trouvé en bonne partie dans mon enfance et mon éducation.

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Ma mère était institutrice maternelle dans le village de Hesbaye où j’ai grandi, et quand j’étais en congé, j’aimais bien la rejoindre dans sa classe, j’étais en quelque sorte l’assistante de la maîtresse, j’organisais des jeux, j’aidais les bambins à déchiffrer les lettres ou à s’habiller, je me rendais utile. Ce dernier mot était le préféré de ma mère, pour elle chaque geste devait servir à quelque chose. Lire en journée par exemple lui semblait un divertissement répréhensible, elle ne l’a toléré que quand l’étude de mes cours, plus tard, l’a exigé. A l’inverse, mon père avait toujours le nez dans son journal ou dans un livre, l’image que je garde de lui est celle de ses énormes lunettes à monture noire. Quand il me laissait un message, il ne manquait jamais d’utiliser des mots ou des expressions peu usités, qui m’obligeaient à recourir au dictionnaire. Je me souviens d’un soir où, rentrant d’une balade en ville avec ma mère, je devais avoir sept ou huit ans, je découvris ce billet à mon intention : Ton alter ego est venu prendre de tes nouvelles. J’ai dû me documenter pour savoir qu’il s’agissait de ma meilleure amie. L’antagonisme entre cet amoureux de la chose intellectuelle et cette championne du pragmatisme a pesé lourd dans mes choix de vie.

 

J’avais quatorze ans quand un professeur de français m’a déclaré que j’avais un don pour écrire.

 

Pourquoi ai-je attendu tout ce temps pour l’exploiter, ce don ? Certes j’ai beaucoup écrit pendant mes études de lettres. Une thèse de licence et une autre de doctorat à l’Université de Liège. La première a été publiée à Québec, le livre s’intitule Le roman de la terre au Québec. La deuxième retrace toute l’histoire du roman québécois à la lumière du concept d’aliénation, Aliénation et roman québécois, elle n’a pas été publiée parce qu’on me demandait des recherches historiques complémentaires dont l’ampleur m’a découragée.

J’avais pris plaisir à rédiger ces deux énormes volumes mais ce travail d’écriture m’était dicté par mes ambitions d’étudiante, il obéissait à des normes académiques, il n’avait rien à voir avec l’écriture fictionnelle que je pratique aujourd’hui, il était plutôt de nature, par son conformisme même, à m’en éloigner.

 

Pour écrire ma thèse de doctorat, j’avais passé quatre ans en tête à tête avec 277 romans québécois dont la thématique n’était pas toujours réjouissante. J’étais aspirante au Fonds National Belge de la Recherche Scientifique qui manifestement commençait à réduire les subventions allouées aux chercheurs en littérature. J’ai quitté l’institution sans regret car j’avais envie d’autres horizons, besoin de voir du monde, et je me suis tournée vers l’école.

L’illustre Ecole Royale des Cadets de Bruxelles organisait un concours pour recruter un professeur de français, qui serait le successeur de Maurice Grevisse, grammairien belge bien connu. Le défi me tentait mais la première condition pour participer au concours était d’appartenir au sexe masculin. Mon enthousiasme me poussa à contacter le Commandant de l’école à qui je fournis une idée fructueuse : il demanderait la promulgation d’un arrêté royal l’autorisant à engager des professeurs féminins. Il deviendrait ainsi le pionnier en la matière et cette prouesse servirait la progression de sa carrière. C’est exactement ce qui s’est passé.

Je fus la première femme à pénétrer dans cette forteresse masculine, et vous raconter mes aventures pourrait aisément faire l’objet d’un roman. Imaginez-vous mes premiers repas de corps, les longues tablées d’officiers en tenue et moi, au milieu d’eux, en robe longue de cérémonie, entourée de prévenances par les uns, de rancœurs machistes par les autres, m’efforçant de doser familiarité et retenue.

Ma mission consistait à préparer les élèves au concours d’entrée à l’Ecole Royale Militaire. Après une quinzaine d’années, j’ai commencé à la trouver facile et comme j’avais à l’époque quelques soucis financiers, j’ai accepté un poste complémentaire de collaborateur extérieur aux Facultés universitaires de Namur. Deux ans plus tard, ce poste a été supprimé faute de subsides mais les étudiants m’ont suggéré de poursuivre le travail chez moi. Et je me suis lancée dans une autre expérience. J’ai ouvert à Namur un Atelier de français pour accueillir tous ceux, enfants ou adultes, qui souhaitaient améliorer leur expression écrite ou orale en français. On travaillait par petits groupes, selon le type de difficulté ou d’aspiration. Cet atelier a rencontré un plein succès pendant quinze ans.

 

Mais l’écriture, tapie dans l’ombre, attendait son heure. Elle m’a adressé de petits signes, d’abord timides puis de plus en plus insistants. J’ai renoué avec elle quand j’ai visité Liège avec un groupe de personnes déficientes visuelles dont le guide, Luc, devenu mon compagnon, m’a demandé d’écrire le compte-rendu de la journée pour sa revue. J’y ai pris tant de plaisir que j’ai pensé à demander ma retraite de professeur un peu à l’avance, pour me consacrer librement à l’écriture, j’avais beaucoup de temps à rattraper !

 

J’ai commencé par suivre un atelier d’écriture assez pittoresque, l’animateur nous laissait ses consignes puis s’en allait boire quelques bières au bar voisin mais je faisais toujours mes devoirs comme une bonne élève. C’est ainsi qu’un soir, pour écrire le récit dont il nous avait donné la première phrase, je me suis mise à écrire Flaubert, mon premier roman, dont une bonne partie se passe à Namur, ma ville d’adoption. Flaubert est le surnom d’un professeur de français qui joue un rôle discret mais crucial dans la vie de mon héroïne.

Dans ma vie à moi, l’écriture triomphait, jubilait. Au côté d’un compagnon aimant, encourageant, je pouvais lui céder. Mais j’étais persuadée que le tiroir de mon bureau serait la destination finale de toutes ces pages que je noircissais. Jusqu’au jour où ma fille, après avoir lu la moitié de Flaubert, m’a menacée de tous les maux si je n’adressais pas mon manuscrit à un éditeur. Et là, c’est un sacré parcours qui a commencé.

 

Mon vœu le plus cher, c’est que mes livres ressemblent à ceux que j’aime lire, ceux qui racontent une histoire pleine d’humanité dans un style sobre et juste. Tout un programme, croyez-moi. Je laisse les sujets venir à moi, et s’imposer peu à peu. Rien n’est tracé d’avance, je m’essaie à tout ce qui m’interpelle. J’aime changer de genre et de style. L’écriture, comme la vie, c’est le mouvement. Il m’arrive d’ailleurs de composer mes histoires en marchant, dans la campagne ou dans les bois. Je séjourne souvent en France, dans notre chalet vosgien  en bordure de la forêt de Gérardmer, un paradis pour Cook, notre épagneul breton.